AVANT QUE LA MÉMOIRE S’EFFACE – Olivier de Kersauson

Avant que la mémoire s'efface - Olivier de Kersauson
Olivier de Kersauson
AVANT QUE LA MÉMOIRE S’EFFACE
Éditeur : Cherche Midi – novembre 2024
EAN : 978-2749179315
Une poésie aussi grande que l’immensité des mers, parsemée de quelques monèmes familiers qui viennent rehausser le propos étudié, une philosophie qui porte à la réflexion et un courage sous-jacent qui s’incarne à chaque instant de vie de ce marin qui navigue peut-être encore à 80 ans dans ses rêves d’antan mais plus encore peut-être également sur les mers tel un pirate à la recherche de quelques terres inconnues ou de trésors insaisissables.
Tout cela paraît à priori un peu désuet.
Surtout lorsque l’on ose se pencher sur la biographie de l’auteur de ce livre.
De lignée aristocratique Olivier de Kersauson a construit sa vie sur les bases d’une éducation élitiste dont il faut aussi (en) mesurer les contraintes et les assujettissements qui l’obligent.

Ce « témoignage » d’un marin chroniqueur sera-t-il le dernier ouvrage d’Olivier de Kersauson avant qu’il ne fasse naufrage entre terre et mer dans un rideau de brume irradiant sa mémoire.
Rien n’est moins sûr… il n’a que 80 ans c’est donc encore un jeune senior.
Sa responsabilité est grande.
Lorsqu’on a fait le tour du monde on ne « s’habille » pas comme tout le monde on prend « des poses » et surtout on essaie d’embrasser le monde avec un regard humaniste altruiste empreint de projets réalistes pour emprunter des voies navigables afin d’éviter que notre humanité ne dérive en des eaux troubles et définitivement trop profondes.
Mais, ce navigateur insatiable n’a-t-il pas cartographié des territoires maritimes navigables encore non identifiés, je crois qu’il est assez fier de ce travail accompli et les navigateurs – un peu trop aventureux – pourront le remercier !…

Alors en lisant l’ouvrage susnommé de ce Seigneur des mers et des océans, j’ai retenu quelques instructions étonnamment applicables à nos pratiques quotidiennes sur mer, dans l’espace ou sur terre.

Ces enseignements qui surgissent de l’expérience approfondie d’un marin confirmé s’adressent, je pense à ceux qui d’un point de vue symbolique ont dépassé « le Cap Horn » dont parle Olivier de Kersauson dans son ouvrage.

Dépasser le Cap Horn c’est s’armer de courage pour affronter « des vents contraires » – qui risqueraient d’anéantir l’être que nous sommes si la vigilance venait à s’absenter – afin de découvrir… « la liberté « en s’extrayant d’une indescriptible nuée de forces en tous sens dirigées.

Après cet effort incommensurable, la persévérance dans l’effort sous-tendue par la passion qui propulse l’action va permettre de commencer le voyage que chacun d’entre nous sera ou non en mesure d’effectuer sur la mer, dans l’espace ou sur terre.

Mais pour cela, il s’avère nécessaire d’avoir dépassé « le Cap Horn », c’est-à-dire les conflits intérieurs qui paralysent nos actes ou qui les dirigent en des tracés qui s’entremêlent et nous égarent.

Alors si les conditions sont requises, lorsque nous avons dépassé ce « Cap » Monsieur de Kersauson nous offre quelques conseils qui sont non négligeables.

On ne voyage pas sans « bagage », cela va de soi, ce dernier nous est donné ou non par notre première identité ou bien il faut l’acquérir par l’expérimentation.
L’auteur de ce recueil nous offre d’ailleurs – en ce qui concerne la navigation – un bref rappel historique des conquérants espagnols et portugais qui ont ouvert les voies navigables que les marins empruntent actuellement. Ils ne possédaient pas les outils technologiques dont nous disposons aujourd’hui mais un solide bagage intellectuel et des connaissances « ESSENTIELLES » pour s’aventurer en des lieux où l’inconnu ne peut servir de guide.
(Cependant la force qui animait ces « chevaliers de la mer » était dirigée par l’espoir de s’approprier des territoires en des lieux où des civilisations évoluaient à leur rythme en accord avec la nature qui les abritait, civilisations qui furent éradiqué(e)s par ces conquistadors sans pitié…cela mérite au moins d’ interrompre un instant cette course à la vitesse pour réfléchir un instant, simplement un instant…au moins un instant).

On ne voyage pas sans curiosité sans désir de connaître ce sentiment d’ivresse que donne la liberté qui nous est offerte lorsque nous quittons nos habitudes et nos routines quotidiennes pour affronter le « danger » permanent qui nous guette lorsque l’on s’aventure en des lieux hostiles à l’être humain qui veut par ambition personnelle, s’élever au dessus de la « mêlée » pour aller chercher sa propre victoire quelle qu’elle soit pourvu – à mon avis – qu’elle se propose d’être noble et exemplaire.

Mais si l’on retourne en mer avec l’auteur de cet ouvrage, chaque instant, chaque mouvement des vagues et des vents porterait les signes d’un devenir immédiat qui pourrait advenir. Chaque événement serait prévisible à condition d’être à l’écoute de nos cinq sens et de l’intuition que nous leur accordons.
L’erreur peut bien sûr s’inviter face au réel et au danger qui nous menace il nous faudrait alors effectuer la synthèse des données que nous recevons de l’extérieur et de l’intérieur de notre être.
Pour ce faire, de bonnes connaissances en ce qui concerne les « sources » mathématiques, géographiques, historiques, météorologiques, géologiques… s’avèrent nécessaires.
(Toutes ces connaissances basiques vont toutefois vite se montrer insuffisantes si le futur navigateur ne possède pas ce que je nomme personnellement « le cerveau de réminiscence » qui joue un rôle central concernant la mémoire.
Cette habileté cognitive naturelle serait située au niveau de l’hippocampe
qui appartient au système limbique et qui jouerait un rôle essentiel dans la mémoire et la navigation spatiale ?)

Actuellement les hydrofoils et/ou les simples multi et/ou monocoques sont équipés de cadrans électroniques qui mesurent les données que les skippers autrefois – en autonomie – contrôlaient.
La vigilance se fige aujourd’hui sur les tableaux de bord numériques, les cinq sens et l’intuition sont beaucoup moins mobilisés mais la technologie n’est pas infaillible et l’auteur de ce livre qui semble finalement encore à 80 ans naviguer…reste méfiant quant aux informations chiffrées qui lui sont offertes par ces nouveaux outils issus de l’IA.
La tâche apparaît plus simple mais notre navigateur utilise toujours son « Savoir », son « Intuition » et « la flexibilité de sa Pensée » pour diriger les embarcations et leurs équipages loin de nos continents.

Ainsi « l’entendement » de Monsieur de Kersauson semble rejoindre le raisonnement de certains de nos philosophes contemporains : l’intelligence artificielle sauvera peut-être l’être humain si ce dernier reste à l’écoute de son savoir empirique de son intuition et de sa vigilance pour contrôler l’incroyable réalité de ces nouveaux instruments que le « Sapiens » a engendré et qui défient parfois notre propre intellectualité.

Navigateur infatigable, détenteur de la légion d’honneur, Olivier de Kersauson ne semblait pas jusqu’alors véritablement intéressé par l’écologie ; il en est aujourd’hui autrement ; ce skipper héroïque deviendrait donc défenseur de la cause de ceux qui veulent protéger notre habitacle naturel, cette évolution nous est salutaire car si la CÉLÉBRITÉ attire les convoitises elle propulse aussi les convictions de celui où de celle qui en dispose.

Naviguer est pour Monsieur de Kersauson une obsession, une raison d’exister, la mer est son élément de prédilection, à la seule condition qu’il se place aux commandes d’un navire pour réaliser les exploits qui lui ont valu les titres honorifiques lui ont été attribués.

Pour d’autres ce sont les cimes des montagnes qui les attirent ou bien pour certains les gouffres au sein desquels les spéléologues s’introduisent sans avoir la certitude de trouver les moyens de pouvoir ressurgir des boyaux de la terre.

(À chacun ses victoires, elles sont parfois insignifiantes, s’il nous faut des héros pour nous identifier et pour porter des actions plus discrètes mais indispensables au maintien et à l’ordre de l’humanité, alors que nos héros se montrent exemplaires.

Monsieur Olivier de Kersauson insuffle à la fois un vent de modernité et de vigilance associées.
En cela sa notoriété pourrait nous être utile.
La lecture de cet ouvrage reste par instants accessible.
Chacun EN SON DOMAINE – aussi modeste soit-il – pourrait ESSAYER de dépasser « le Cap Horn » pour se réaliser et rentrer victorieux au port d’attache qui lui a été attribué.)

P.S : Ai-je lu ce « bouquin » avec plaisir ?! Non, pas franchement… je l’ai abordé sans véritable déplaisir avec le désir de découvrir la personnalité de ce Skipper chroniqueur ombrageux et celui de connaître les éléments de réalité auxquels sont confrontés ces marins qui veulent conquérir le « coeur du public » et triompher des quatre vents.

Les « braves gens, rustiques en matière de nautisme », ainsi que les néophytes…vont devoir se confronter à l’aspect technique de la navigation en mer ce qui n’est pas inéluctablement ludique ; quant aux futurs marins promus à de brillantes carrières, peut-être trouveront-ils un brin de sagesse en ces quelques pages rédigées par Olivier de Kersauson « avant que la mémoire ne s’efface ».

Béatrysse Dartstray