En ces temps troublés, l’ÉDUCATION qui assure « l’identité », « la protection » et la « pérennité » de l’être humain semble aujourd’hui mettre en danger le devenir de notre civilisation. c’est pourquoi il m’est apparu nécessaire de lire l’ouvrage dont la couverture apparaît ci-dessus, ouvrage que Je n’avais jusque-là pas abordé trop préoccupée par mon activité professionnelle en cours.
Cependant il est intéressant de savoir si les problématiques sociétales actuelles auraient pu être anticipées à la fin du XXe siècle lorsque ce livre est paru.
Les réflexions qui vont suivre m’appartiennent et ne sauraient, bien entendu, remettre en cause la qualité des écrits dont il est ici question.
Philosophe, avant tout, Élisabeth Badinter affirme sans concession sa laïcité afin d’être à même de nous livrer plus librement sa pensée.
En cet essai, cette autrice s’illustre par ses positions audacieuses concernant le rôle de la femme, dans nos sociétés occidentales, (en France plus exactement.)
Les réflexions qui en émergent sont toutefois à replacer dans le contexte de l’époque où cet écrit a été publié et où la puissance des femmes – jusque-là presque oblitérée – commençait à poindre notamment sur le versant professionnel.
En 1980 (date de parution de l’ouvrage en question) les prises de positions de Madame Élisabeth Badinter ont heurté certains esprits religieux érudits qui considéraient encore la femme comme un être « essentiellement » voué à l’amour maternel « oblatif ».
Il est vrai que les propos de Madame Élisabeth Badinter auraient et peuvent encore paraître – en certains points – excessifs.
Cependant la lecture de cet écrit nous invite à nouveau à reconsidérer les concepts philosophiques : NATURE/ CULTURE qui – à mon avis – ne sauraient être totalement dissociés comme semble l’impulser – dans son intellectualité – Madame Élisabeth Badinter.
Cette essayiste célèbre se meut d’ailleurs en HISTORIENNE pour attester le fait qu’au cours des âges, le comportement des mères a évolué en fonction de l’organisation sociale en cours.
Il semble que pendant la période moyenâgeuse puis notamment sous l’ancien régime, l’enfant étant considéré, dans son individualité première, comme un être humain « sans valeur sociale immédiate », les mères urbaines (de vastes ou plus modestes cités) placèrent alors leurs nouveau-nés chez des nourrices à la campagne prétextant ainsi éloigner leurs enfants de la toxicité des villes.
Deux interprétations sont dans ce cas possibles :
Ces génitrices sacrifièrent-elles leur désir de maternage pour la santé de leurs enfants, ce comportement impliquant l’irruption de l’instinct protecteur maternel ou bien ces mêmes mamans délaissèrent-elles leurs nourrissons pour des raisons de mode et/ou de surcharge de travail au risque de ne plus jamais les revoir sachant que les conditions d’accueil (chez ces nourrices qui – à cette époque – n’avaient aucune formation et par surcroît vivaient elles-mêmes dans le plus terrible dénuement) s’avéraient extrêmement défavorables.
Madame Élisabeth Badinter tranche pour la seconde interprétation considérant, au regard de cette triste période historique, que l’amour maternel n’est pas systématique donc qu’il ne s’avère pas instinctif ?
À cette époque, où le père exerçait l’autorité de manière prépondérante, les femmes ont-elles eu le choix d’opter pour l’amour maternel et/ou de se laisser porter par leur instinct si celui-ci existe ?
Pour ma part, je ne le pense pas.
Les mères – pour certaines – comme les enfants abandonnés à un sort et un avenir précaire ont eu leur lot de souffrance.
Par contre si de très nombreuses femmes portèrent et portent heureusement encore aujourd’hui un ou plusieurs désirs de maternité, cet amour potentiel, réalisé ou réalisable ne me paraît pas effectivement de nature « TOTALEMENT » instinctive puisque selon la définition proposée par les scientifiques, contemporains, l’instinct maternel serait une impulsion innée automatique et invariable qui régit le comportement de tous les individus de la même espèce.
Définition d’ailleurs remise en question par certains anthropologues.
Or comme l’évoque si bien Madame Élisabeth Badinter, la FEMME est « plurielle » et le désir de maternité ne s’exprime pas de manière systématique chez chaque être humain de genre féminin.
Toujours selon cette essayiste, le non désir d’enfant chez la femme n’implique pas systématiquement une pathologie biologique et/ou psychologique.
Depuis l’avènement de l’odyssée féministe, il correspond assez souvent, (comme l’affirmait Madame Simone de Beauvoir) à une décision prise en toute conscience, avec courage, lucidité et en parfaite liberté.
Ainsi, dans cet essai, Madame Élisabeth Badinter effectue une lente et laborieuse trajectoire historique pour découvrir qu’à travers les siècles, l’enfant n’a pas toujours été au centre des préoccupations familiales en France.
Lorsqu’il ne le fut pas l’amour maternel sembla – selon elle – peu présent.
Mais, reprenons le cours de l’histoire ainsi que nous y invite Madame Badinter.
Si jusqu’en 1760, le concept de maternité ne fut pas considéré comme une valeur édificatoire, une révolution culturelle s’opéra à partir de la fin du 18e siècle et les idéologues de l’époque multiplièrent les publications exaltant l’amour maternel tout en promettant aux femmes « le droit de cité » si elles savaient se comporter en mères dévouées.
Ce revirement des mentalités trouva ses origines dans les divers recensements des populations, recensements sollicités initialement par Colbert puis réitérés ultérieurement sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI…
La valeur conférée alors à l’enfant et à sa mère ne releva pas uniquement des principes de l’éthique et de la philosophie.
L’intérêt pour la démographie initié par Colbert était d’un ordre plus « étatique » : une nation forte devait se doter d’une population importante et par voie de conséquence d’une natalité croissante.
L’enfant et sa mère devenant « valeur marchande » prirent alors une place prépondérante
Dans « l’ami des hommes », Mirabeau soutenait que la grande propriété, la fiscalité, le luxe et la décadence de l’agriculture étaient à l’origine de la dépopulation engendrant la réduction de la main d’œuvre et la défaillance de la production mais les réformes qu’il proposa s’avérèrent impossibles à actualiser .
À cette période les femmes furent donc de nouveau sollicitées et valorisées dans leur rôle de procréatrices et de mères attentionnées.
La plupart d’entre-elles comprirent l’importance et l’accès à une certaine forme de pouvoir qui leur étaient conférés par la maternité aussi cédèrent-elle presque naturellement à leur rôle de maternage.
Par voie de conséquence, d’après ce qu’il m’est donné de comprendre (en étudiant cette œuvre) ce ne serait plus l’amour maternel qui fonderait les familles et les sociétés mais les stratégies économiques en place qui conditionneraient les femmes à exercer leur devoir de mère et à faire éclore « l’amour en plus » lorsque les conditions d’existence s’y prêtèrent au sein des foyers les plus favorisés.
Au XIXe siècle, la femme devint multidimensionnelle dans ses responsabilités familiales
selon les préceptes de Rousseau auxquels l’on se référait encore et ceux de Michelet, la femme n’est plus simplement exhortée à devenir une génitrice attentionnée mais une épouse douce et idéale sachant créer un foyer harmonieux et une mère dévouée à ses enfants jour et nuit assumant en quelque sorte – pour les moins favorisées – les rôles d’esclaves, de femmes soumises, de mères « sanctifiées » et de nonnes dans un couvent. Ainsi « honorées » de nombreuses femmes se plièrent presque avec « bonheur » à cette nouvelle situation qui leur apportait respect et considération. D’autres, plus émancipées, malgré des tentatives répétées, ne parvinrent à sacrifier leur liberté et devant, malgré tout, respecter l’idéologie des penseurs de l’époque considérant « l’amour maternel oblatif universel » s’efforcèrent sans enthousiasme à devenir de « bonnes » mères sans y parvenir ce qui engendra chez ses mamans des comportements névrotiques qu’elles transmirent à leurs enfants, ces dommages psychologiques et sociologiques engendrés par une idéologie maintenant désuète viennent confirmer que l’amour maternel « oblatif » n’est pas systématique.
Toujours à cette époque, les femmes, en charge de faire croître la natalité, eurent par surcroît, la responsabilité d’édifier par l’éducation des êtres humains solides capables de construire une nation florissante.
Les pères qui avaient jusqu’alors un rôle d’autorité ne trouvèrent plus leur place sur le versant éducatif et le patriarcat familial fut remplacé par un patriarcat d’état consistant en l’assistance d’instituteurs, de juges pour enfants, d’assistantes sociales, d’éducateurs et plus tard de psychiatres.
Jusqu’en 1978, dans les milieux défavorisés le père perdit toute responsabilité éducative, son rôle se limitant à assurer (par l’apport d’un salaire substantiel) une certaine stabilité familiale.
Toujours selon Madame Badinter les psychanalystes nommés dans cette étude (Sigmund Freud puis Françoise Dolto) ne valorisèrent guère les fonctions éducatives du père qui restèrent relativement symboliques.
Par conséquent jusqu’à la fin du 20e siècle, ce furent encore les mères qui, soupçonnées d’être « toxiques », lorsque leurs enfants présentaient des malaises d’ordre psychologique, durent consulter les praticiens de la « psyché ».
Et lorsque les femmes n’eurent pas d’enfants, elles furent classées en dehors de la normalité admise par la société psychanalytique bien pensante de l’époque.
C’est finalement les femmes féministes, qui à peu près à cette même époque, commencèrent à contester le rôle qui leur était assigné et développèrent un autre style de vie moins contraignant pour les femmes ayant une activité professionnelle et plus valorisant pour les hommes qui partagèrent – pour certains – avec leur compagne les tâches relatives au foyer et à l’éducation des enfants.
Les femmes qui décidèrent de ne pas procréer pour différentes raisons ne furent plus discréditées au sein de ce mouvement féministe naissant.
Ainsi, à travers un retraçage de l’histoire de la société française Madame Élisabeth Badinter s’efforce de nous apporter la preuve que l’amour maternel. n’est pas systématique mais simplement contingent. |